CHAPITRE VI

Démentant les promesses du bref coucher de soleil, l’aube du lendemain se leva sur un jour froid et cafardeux. Un crachin glacial s’infiltrait entre les arbres, et les bois ruisselaient mélancoliquement. Ils quittèrent l’auberge de bon matin et pénétrèrent bientôt dans une partie de la forêt qui leur parut plus ténébreuse et angoissante que les zones pourtant bien rébarbatives qu’ils avaient déjà traversées. Les arbres y étaient gigantesques et des chênes immenses, difformes, levaient leurs ramures dénudées entre les frondaisons des sapins et des épicéas qui rivalisaient de noirceur. Le sol de la forêt était couvert d’une sorte de mousse grise, infecte et répugnante.

Lelldorin n’avait pas dit grand-chose de toute la matinée, et Garion pensa que son ami devait encore ressasser l’affaire du complot de Nachak. Le jeune Asturien avançait seul, enroulé dans sa grande houppelande verte, ses cheveux d’or rouge, détrempés, pendouillant lamentablement dans le crachin qui tombait sans discontinuer. Garion se rapprocha de son ami, et ils chevauchèrent de conserve pendant un moment.

— Qu’est-ce qui ne va pas, Lelldorin ? demanda-t-il enfin.

— Je crois que j’ai été aveugle toute ma vie, Garion, répondit Lelldorin.

— Allons, comment cela ? fit prudemment Garion, dans l’espoir que son ami s’était finalement décidé à tout raconter à sire Loup.

— Je n’ai voulu voir que la tyrannie mimbraïque sur l’Asturie ; je ne m’étais pas rendu compte que nous opprimions notre propre peuple.

— C’est bien ce que j’ai essayé de te dire, remarqua Garion. Qu’est-ce qui a fini par t’ouvrir les yeux ?

— Le village où nous avons passé la nuit, expliqua Lelldorin. Je n’ai jamais vu un endroit aussi pauvre et misérable, des gens écrasés par une telle détresse. Comment peuvent-ils endurer cela ?

— Tu crois qu’ils ont le choix, peut-être ?

— Au moins, mon père s’occupe de ses gens, affirma le jeune homme, sur la défensive. Sur ses terres, personne ne reste le ventre vide et tout le monde a un toit au-dessus de sa tête. Mais ces gens sont moins bien traités que des animaux. Jusqu’à présent, j’avais toujours été fier de mon rang, mais maintenant, j’en ai honte.

Et des larmes brillaient dans ses yeux.

Garion ne savait pas trop comment prendre la soudaine prise de conscience de son ami. D’un côté, il était heureux que Lelldorin ait enfin compris ce qui avait toujours été évident pour lui ; mais de l’autre, il n’était pas très rassuré sur les initiatives que cette nouvelle façon de voir risquait de suggérer à son belliqueux compagnon.

— Je renoncerai à mon titre, déclara soudain Lelldorin, comme s’il avait lu dans les pensées de Garion, et quand je rentrerai de cette quête, je rejoindrai mes serfs pour partager leur vie et leur chagrin.

— Ça leur ferait une belle jambe. En quoi le fait de partager leurs souffrances soulagerait-il les leurs ?

Lelldorin jeta sur lui un regard pénétrant. Une demi-douzaine d’émotions se succédèrent sur son visage ouvert, et il se mit enfin à sourire, mais on pouvait lire la détermination dans ses yeux bleus.

— Mais bien sûr. Tu as raison, comme toujours. Tu as une façon stupéfiante d’aller droit au cœur des choses, Garion.

— Qu’est-ce que tu mijotes, au juste ? s’enquit Garion, qui s’attendait au pire.

— Je mènerai leur révolte. Je parcourrai l’Arendie à la tête d’une armée de serfs, décréta Lelldorin d’une voix claire et sonore, son imagination s’embrasant à cette idée.

— Enfin, Lelldorin, observa Garion, pourquoi faut-il toujours que tu réagisses comme cela, quel que soit le problème ? Premièrement, les serfs sont complètement désarmés, ils ne sauraient ni comment, ni avec quoi se battre. Tu pourrais leur raconter n’importe quoi, tu n’arriverais jamais à les décider à te suivre. Deuxièmement, même s’ils se laissaient convaincre, tous les nobles d’Arendie se ligueraient contre toi pour réduire tes hommes en chair à pâtée, et les choses seraient dix fois pires pour eux, après. Et troisièmement, tout ce que tu gagnerais, ce serait de déclencher une guerre civile, faisant précisément le jeu des Murgos.

Lelldorin cligna plusieurs fois des yeux comme les paroles de Garion s’insinuaient dans sa conscience. Son visage retrouva sa morosité initiale.

— Je n’avais pas réfléchi à tout cela, avoua-t-il.

— C’est bien ce qu’il me semblait. Tu n’arrêteras pas de faire ce genre de bourdes, tant que tu rengaineras ta cervelle dans le même fourreau que ton épée, Lelldorin.

A ces mots, Lelldorin s’empourpra, puis il éclata d’un rire tonitruant.

— Qu’en termes percutants ces choses-là sont dites, Garion, réprouva-t-il.

— Je suis désolé, s’excusa promptement Garion. Je n’aurais peut-être pas dû te dire ça aussi abruptement.

— Mais non, voyons. Je suis un Arendais. Si on ne m’explique pas clairement les faits, ils ont une fâcheuse tendance à m’échapper.

— Ce n’est pas une question de bêtise, Lelldorin, protesta Garion. C’est l’erreur que tout le monde commet. Les Arendais sont loin d’être stupides ; ce serait plutôt de l’impulsivité.

— Ce n’est pas seulement de l’impulsivité, ça, insista tristement Lelldorin avec un ample geste qui englobait la mousse humide sous les arbres.

— Quoi donc ? demanda Garion avec un regard circulaire.

— Nous sommes aux confins de la grande plaine d’Arendie centrale, expliqua Lelldorin. Ce coin de forêt constitue la frontière naturelle entre Mimbre et l’Asturie.

— Et alors ? C’est un bois comme les autres, répliqua Garion en regardant autour de lui.

— Pas vraiment, objecta sombrement Lelldorin. C’était l’endroit rêvé pour tendre une embuscade. Le sol de la forêt est couvert de vieux ossements. Regarde.

Il tendit le doigt. Garion crut d’abord que son ami lui montrait simplement deux branches tordues qui sortaient de la mousse, et dont les rameaux se mêlaient à ceux d’un buisson touffu. Puis il se rendit compte avec horreur que c’étaient les os verdis par le temps d’un homme qui s’était cramponné aux broussailles dans les derniers spasmes de l’agonie.

— Pourquoi ne l’ont-ils pas enterré ? s’indigna-t-il, révulsé.

— Il faudrait un millier d’années à un millier d’hommes pour rassembler tous les os qui gisent ici et les enfouir dans la terre, débita Lelldorin d’un ton morbide. Des générations entières d’Arendais reposent ici, des Mimbraïques, des Asturiens, des Wacites, tous figés dans la mort à l’endroit où ils sont tombés, et qui dorment de leur dernier sommeil sous leur couverture de mousse.

Garion eut un frémissement et détourna le regard de l’appel silencieux de ce bras naufragé, dressé au-dessus de l’océan vert-de-gris qui ondulait, houleux, sur le sol de la forêt. Car le tapis de mousse faisait de drôles de bosses et de monticules, évocateurs de l’horreur qui pourrissait en dessous, et, ainsi qu’il s’en rendit compte en levant les yeux, cette surface mouvementée s’étendait à perte de vue.

— A combien sommes-nous encore de la plaine ? demanda-t-il d’une voix étouffée.

— Deux jours, sûrement.

— Deux jours ? Et c’est partout comme ça ? Lelldorin hocha la tête.

— Mais pourquoi ? éclata Garion, d’un ton accusateur, plus agressif qu’il ne l’aurait souhaité.

— Au départ, pour l’honneur — ou par gloriole, expliqua Lelldorin. Ensuite, sous le coup de la douleur, et par vengeance. Après, c’était tout simplement parce que nous ne savions pas nous arrêter. Comme tu le disais tout à l’heure, les Arendais ne sont pas forcément très brillants.

— Mais très courageux, s’empressa de dire Garion.

— Oh ! ça oui, toujours, admit Lelldorin. C’est notre fléau national.

— Belgarath, annonça calmement Hettar, derrière eux. Les chevaux ont flairé quelque chose.

Sire Loup émergea du demi-sommeil auquel il se laissait généralement aller quand il était à cheval.

— Hein ?

— Les chevaux, répéta Hettar. Ils ont peur de je ne sais quoi.

Belgarath plissa les yeux et devint étrangement pâle. Puis au bout d’un moment, il inspira profondément et poussa un juron étouffé.

— Des Algroths, cracha-t-il.

— Qu’est-ce que c’est que ça ? demanda Durnik.

— Des créatures non-humaines, un peu comme les Trolls.

— J’en ai vu un, une fois — un Troll, dit Barak. C’était une grosse chose horrible, tout en serres et en crocs.

— Vous croyez qu’ils vont nous attaquer ? reprit Durnik.

— C’est plus que probable, pronostiqua sire Loup, d’une voix tendue. Hettar, il va falloir que vous empêchiez les chevaux de prendre le mors aux dents. Nous ne devons surtout pas nous séparer.

— Mais d’où viennent-ils ? questionna Lelldorin. Je croyais qu’il n’y avait plus de monstres dans la forêt.

— La faim les fait parfois descendre des montagnes d’Ulgolande, répondit sire Loup. Et ils ne laissent pas de survivants pour raconter ce qui leur est arrivé.

— Tu serais bien inspiré de faire quelque chose, père, suggéra tante Pol. Ils nous encerclent.

Lelldorin jeta un rapide coup d’œil autour de lui, comme pour se repérer.

— Nous ne sommes pas loin de la Dent d’Elgon, annonça-t-il.

— La Dent d’Elgon ? répéta Barak, qui avait déjà tiré sa lourde épée.

— C’est un monticule assez élevé, couvert de gros blocs de pierre, précisa Lelldorin. Une vraie forteresse. Elgon a tenu cette position pendant un mois contre une armée mimbraïque.

— Ça s’annonce bien, commenta Silk. Comme ça, au moins, on sortirait des arbres.

Il jetait des regards anxieux en direction de la forêt qui semblait les lorgner d’un air menaçant, sous la pluie fine et pénétrante.

— Nous pouvons toujours tenter le coup, approuva sire Loup. Ils ne sont apparemment pas encore décidés à nous attaquer, et la pluie doit être préjudiciable à leur odorat.

Un étrange aboiement se fit entendre dans les profondeurs de la forêt.

— C’est ça ? s’inquiéta Garion, d’une voix qui rendit un son strident à ses propres oreilles.

— Ils s’appellent entre eux, confirma sire Loup. Ceux qui nous ont repérés préviennent les autres. Prenons un peu de vitesse, mais n’accélérons l’allure que lorsque nous serons en vue de la dent.

Ils talonnèrent leurs chevaux nerveux pour les mettre au trot, et commencèrent à gravir la route boueuse qui amorçait une longue montée.

— Une demi-lieue, annonça Lelldorin, tendu. Plus qu’une demi-lieue et nous devrions arriver en vue de la Dent.

Leurs chevaux roulaient des yeux terrifiés en direction des bois qui les entouraient, et ils étaient de plus en plus difficiles à tenir. Garion avait le cœur qui battait à tout rompre, et il se sentit brusquement la bouche sèche. La pluie se mit à redoubler. Un mouvement furtif attira son regard. A une centaine de pas dans la forêt, parallèlement à la route, une immense silhouette humanoïde, d’un gris répugnant, courait, à moitié pliée en deux, les mains traînant par terre.

— Là ! s’écria Garion.

— Je l’ai vu, gronda Barak. Moins grand qu’un Troll.

— Toujours assez pour moi, remarqua Silk, avec une grimace.

— S’ils nous attaquent, faites attention à leurs griffes, prévint sire Loup. Elles sont empoisonnées.

— Charmant, grommela Silk.

— Voilà la Dent, annonça calmement tante Pol.

— Allez, au galop, maintenant ! aboya sire Loup. Ils lâchèrent la bride à leurs chevaux terrorisés, qui bondirent sur la route, frappant le sol de toute la force de leurs sabots. Un hurlement de rage leur parvint des bois, dans leur dos, puis les glapissements se firent plus forts, tout autour d’eux.

— Nous allons y arriver ! hurla Durnik, en manière d’encouragement.

Mais tout d’un coup, une demi-douzaine d’Algroths leur barrèrent la route de leurs pattes de devant étendues, des bras simiesques, terminés par des griffes en guise de doigts. Les petites cornes qui leur surmontaient le crâne conféraient quelque chose de caprin à leur faciès, ils exhibaient de longs crocs jaunes dans des gueules hideusement béantes, et leur peau grise était couverte d’écaillés reptiliennes.

Les chevaux se cabrèrent en poussant des hennissements stridents et tentèrent de se dérober. Garion se cramponna à sa selle d’une main en tirant sur les rênes de l’autre.

Barak frappa la croupe de son cheval du plat de sa lame et lui administra de furieux coups de talons dans les flancs, jusqu’à ce que sa monture, plus terrorisée, finalement, par lui que par les Algroths, se décide à charger. De deux grands coups d’épée, un de chaque côté, Barak tua deux des bêtes et fonça en avant. Une troisième tenta bien de bondir en croupe, toutes griffes dehors, mais se raidit et tomba à plat ventre dans la boue, l’une des flèches de Lelldorin plantée entre les épaules. Barak fit faire une volte à son cheval et hacha les trois créatures survivantes.

— Allons-y ! tonna-t-il.

Garion entendit Lelldorin pousser un hoquet étouffé et se retourna précipitamment. Avec une horreur insurmontable, il vit qu’un Algroth isolé s’était traîné hors des bois qui bordaient la route et avait enfoncé ses griffes dans les chairs de son ami pour tenter de le désarçonner.

Lelldorin assénait des coups d’arc sur la tête de chèvre, sans grand résultat. Garion dégaina son épée dans une tentative désespérée pour l’aider, mais surgissant de derrière eux, Hettar plongea son sabre incurvé au travers du corps de l’Algroth ; la créature poussa un hurlement et tomba à terre où elle resta à se tortiller sous les sabots des chevaux de bât qui la piétinaient.

En proie à une panique irrépressible maintenant, les chevaux gravirent au grand galop la pente de l’éminence rocheuse jonchée de blocs de pierre. Garion jeta un coup d’œil par-dessus son épaule. Lelldorin était gravement blessé ; il chancelait et semblait prêt à tomber. Garion tira sauvagement sur ses rênes et fit faire volte-face à son cheval.

— Sauve-toi, Garion ! hurla Lelldorin, le visage d’une pâleur mortelle, la main pressée sur son flanc ensanglanté.

— Non !

Garion rengaina son épée, se rapprocha de son ami et lui prit le bras pour l’aider à conserver son assiette. Ils galopèrent vers la Dent de conserve, Garion s’efforçant de maintenir son jeune ami en selle.

La Dent était un immense amas de terre et de pierres qui dominait de toute sa hauteur les plus élevés des arbres qui les entouraient. Les chevaux escaladèrent péniblement les blocs de roche humides, dans le vacarme des cailloux qui roulaient sous leurs sabots. En arrivant au sommet aplati de la Dent, où les chevaux de bât se serraient les uns contre les autres, tout tremblants sous la pluie, Garion n’eut que le temps de mettre pied à terre pour retenir Lelldorin, qui s’affaissait lentement sur le côté.

— Par ici, appela sèchement tante Pol, en sortant son petit paquet d’herbes et de bandages de l’un des ses balluchons. Durnik, il va me falloir du feu, tout de suite.

Durnik jeta un coup d’œil désespéré sur les brindilles détrempées qui gisaient dans la boue, au sommet de la butte.

— Je vais faire ce que je peux, dit-il d’un air dubitatif. Lelldorin respirait trop vite, d’un souffle creux. Son visage était d’une pâleur mortelle, et il ne tenait pas sur ses jambes. Garion l’aida à se redresser, l’estomac tordu par une angoisse atroce. Hettar prit le blessé par l’autre bras, et ils l’emmenèrent tant bien que mal près de l’endroit où tante Pol était agenouillée, en train d’ouvrir son paquet.

— Il faut que j’élimine immédiatement le poison, annonça-t-elle. Donne-moi ton couteau, Garion.

Celui-ci tira sa dague de son fourreau et la lui tendit. Elle fendit délicatement le côté de la tunique brune de Lelldorin, révélant les horribles blessures que les serres de l’Algroth y avait provoquées.

— Ça va faire mal, déclara-t-elle. Tenez-le bien. Garion et Hettar prirent chacun un bras et une jambe de Lelldorin, le maintenant à terre.

Tante Pol inspira profondément et incisa prestement chacune des blessures enflées. Le sang jaillit et Lelldorin poussa un grand cri, puis il sombra dans un oubli miséricordieux.

— Hettar ! cria Barak, du haut de l’un des blocs de pierre, non loin de l’amorce de la pente. Nous avons besoin de vous !

— Allez-y ! dit tante Pol, à l’adresse de l’Algarois au visage de faucon. Nous y arriverons tout seuls, Garion et moi. Toi, tu restes ici.

Elle réduisit des feuilles sèches en minuscules fragments, pour en saupoudrer les entailles qui saignaient encore.

— Le feu, Durnik ! commanda-t-elle.

— Il ne veut pas prendre, Dame Pol, répondit Durnik, d’un air accablé. Le bois est trop mouillé.

Elle jeta un rapide coup d’œil aux branches humides que le forgeron avait entassées, puis elle plissa les yeux et fit un geste rapide. Une curieuse vibration emplit les oreilles de Garion, suivie d’un sifflement soudain. Un nuage de vapeur jaillit des brindilles et de grandes flammes crépitantes s’en échappèrent bientôt. Durnik recula précipitamment, surpris.

— Le petit chaudron, Garion, ordonna tante Pol. Et de l’eau. Vite !

Elle retira sa cape bleue et l’étendit sur Lelldorin. Silk, Barak et Hettar étaient campés au bord de la plateforme, d’où ils expédiaient de gros blocs de pierre sur la pente. Garion les entendait dégringoler, se fracasser sur les rocs, en dessous, et arracher de temps en temps un glapissement de douleur aux Algroths.

Il prit la tête de son ami entre ses bras, le cœur étreint par une mortelle inquiétude.

— Il va s’en sortir ? demanda-t-il d’un ton implorant.

— C’est encore trop tôt pour le dire, répondit tante Pol. Et ne m’ennuie pas avec tes questions ; ce n’est vraiment pas le moment.

— Ils s’enfuient ! hurla Barak.

— Oui, mais ils ont encore faim, commenta sire Loup, d’un ton sinistre. Ils vont revenir.

A cet instant, le son d’une trompette de cuivre retentit dans les profondeurs de la forêt.

— Il ne manquait plus que ça. Qu’est-ce que ça peut bien être ? grommela Silk, tout essoufflé de l’effort qu’il avait fourni en soulevant les lourdes pierres par-dessus le bord de la plateforme.

— Quelqu’un que j’attendais, répondit sire Loup avec un drôle de sourire.

Il porta ses mains à ses lèvres et émit un sifflement strident.

— Je pourrai me débrouiller toute seule, maintenant, Garion, dit tante Pol, en malaxant une bouillie épaisse dans une compresse de linges humides et fumants. Va avec Durnik, aider les autres.

Garion reposa à contrecœur la tête de Lelldorin sur le sol humide et courut rejoindre sire Loup. La pente, en-dessous d’eux, était jonchée d’Algroths morts, ou qui ne valaient guère mieux, écrasés par les rochers que Barak et ses compagnons avaient précipités sur eux.

— Ils vont faire une nouvelle tentative, annonça Barak, en soulevant un autre rocher. Aucun risque qu’ils nous attaquent par-derrière ?

— Non, assura Silk en hochant la tête. L’autre versant de la colline est à la verticale.

Les Algroths ressortirent des bois par bonds maladroits, montrant les dents et clabaudant. Une avant-garde avait déjà traversé la route lorsque la trompe se fit entendre à nouveau, beaucoup plus proche cette fois.

C’est alors qu’un homme en armure de parade, juché sur un immense coursier, surgit des arbres et s’abattit sur les créatures qui se préparaient à donner l’assaut. Le cavalier se pencha sur sa lance et chargea droit sur le petit groupe d’Algroths, pétrifiés. Le grand cheval poussa un formidable hennissement et ses sabots ferrés soulevèrent de grosses mottes de terre. La lance rentra de plein fouet dans la poitrine de l’un des plus gros Algroths, et se cassa en deux sous l’impact. Le bout rompu en atteignit encore un autre en pleine face, puis, d’un seul geste du bras, le chevalier jeta la lance rompue au loin et tira sa large épée. Par d’amples mouvements sur la droite et sur la gauche, il se fraya un chemin à travers la meute, son destrier piétinant les corps vivants comme les cadavres, les enfonçant sous ses sabots dans la boue de la route. Sa charge terminée, il décrivit une volte et replongea sur la horde, s’ouvrant à nouveau la voie à la pointe de son épée. Les Algroths tournèrent les talons et se replièrent précipitamment dans les bois en hurlant.

— Mandorallen ! hurla sire Loup. Par ici !

Le chevalier en armure releva le ventail de son heaume éclaboussé de sang et leva les yeux vers le haut de la colline.

— Permets-moi d’abord, ô ami chargé d’ans, de disperser cette vermine, déclara-t-il d’un ton allègre, avant de rabattre son ventail dans un grand claquement de métal pour replonger dans les bois trempés de pluie, à la poursuite des Algroths.

— Hettar ! appela Barak, qui s’ébranlait déjà. Hettar eut un bref hochement de tête, et les deux hommes coururent vers leurs chevaux, bondirent en selle et foncèrent au bas de la colline, prêter main-forte à l’étranger.

— Votre ami témoigne d’un manque de jugeote tout à fait prodigieux, fit observer Silk, au profit de sire Loup, en essuyant son visage ruisselant. Ces sales bêtes vont se retourner sur lui d’une seconde à l’autre, maintenant.

— Il ne lui est probablement pas venu à l’esprit un seul instant qu’il pouvait être en danger, remarqua sire Loup. Il ne faut pas oublier que c’est un Mimbraïque, et qu’ils se croient tous invulnérables.

Il leur sembla que le combat dans les bois n’en finirait jamais. Ils entendirent des cris et des coups sonores, puis les hurlements de terreur des Algroths, et enfin Hettar, Barak et l’étrange chevalier émergèrent à nouveau des arbres et remontèrent au petit trot le versant incliné de la Dent.

— Quelle cérémonie de bienvenue, palsambleu ! s’exclama le chevalier d’une voix tonitruante à l’attention de sire Loup. Tes amis, ô valeureux compagnon, se sont montrés des plus gaillards.

Son armure luisait d’un éclat mouillé sous la pluie.

— Je suis heureux que vous vous soyez bien amusé, laissa sèchement tomber sire Loup.

— Je les entends encore, rapporta Durnik. Je crois qu’ils n’ont pas fini de courir.

— Leur couardise nous aura privés d’une distraction qui eût été des mieux venues ce tantôt, observa le chevalier en retirant son heaume et en rengainant son épée comme à regret.

— Nous sommes tous amenés à faire des sacrifices, fit Silk avec une nonchalance affectée.

— Ce n’est que trop vrai, hélas, soupira le chevalier. Tu me parais, ô ami, montrer beaucoup de philosophie.

Il secoua la plume blanche qui ornait son heaume pour l’égoutter.

— Permettez-moi, reprit sire Loup, de vous présenter Mandorallen, baron de Vo Mandor, qui sera désormais des nôtres. Mandorallen, voici le prince Kheldar de Drasnie, et Barak, comte de Trellheim et cousin du roi Anheg de Cherek. Et voilà Hettar, le fils de Cho-Hag, le chef des Chefs de Clan d’Algarie. Ce brave homme est Durnik, un Sendarien, et ce jeune garçon s’appelle Garion. C’est mon arrière-petit-fils, à quelques générations près.

Mandorallen se fendit d’une profonde révérence devant chacun d’eux.

— Je vous salue bien bas, ô amis, déclama-t-il de sa voix de stentor. Notre aventure aura débuté sous d’heureux auspices. Mais pourriez-vous, j’en appelle à votre amitié, me dire qui est cette dame dont la beauté ravit mes yeux ?

— Que voilà un beau discours, Messire chevalier, dit tante Pol.

Elle éclata d’un rire chaleureux, en portant presque inconsciemment la main à ses cheveux trempés.

— Je crois qu’il va beaucoup me plaire, père.

— Vous êtes la légendaire Dame Polgara ? Ma vie aura connu ce jour son apothéose, déclara Mandorallen, avec une profonde révérence, quelque peu déparée, toutefois, par le craquement intempestif de son armure.

— Notre ami blessé est Lelldorin, le fils du baron de Wildantor, poursuivit sire Loup. Vous avez sûrement entendu parler de lui.

— C’est un fait, confirma Mandorallen, dont le visage s’assombrit quelque peu. La rumeur, qui parfois nous précède tel un chien courant, voudrait que ledit sieur Lelldorin de Wildantor se soit plu à soulever contre l’autorité de la couronne maintes rébellions des plus pernicieuses.

— C’est sans importance à présent, décréta sire Loup, d’un ton sans réplique. L’affaire qui nous réunit ici aujourd’hui est infiniment plus grave. Il faudra que vous oubliez toutes vos dissensions.

— Il en sera selon le bon plaisir du noble Belgarath, acquiesça immédiatement Mandorallen, qui ne pouvait détacher ses yeux de Lelldorin, toujours inconscient.

— Grand-père ! s’écria Garion, en indiquant du doigt la silhouette d’un cavalier qui venait d’apparaître sur le flanc de l’éminence rocheuse.

L’homme était entièrement vêtu de noir et montait un noir coursier. Il repoussa son capuchon, révélant un masque d’acier poli, à la fois beau et étrangement repoussant, qui épousait la forme de son visage. Une voix profondément enfouie dans l’esprit de Garion lui disait que ce curieux personnage recelait quelque chose d’important, quelque chose dont il aurait dû se souvenir, mais qui lui échappait, quoi que ce fût.

— Renonce à ta quête, Belgarath.

La voix qui s’élevait du masque rendait un son étrangement creux.

— Tu me connais trop bien pour croire une seconde que je pourrais faire une chose pareille, Chamdar, répondit calmement sire Loup, qui avait de toute évidence reconnu le cavalier. Cet enfantillage avec les Algroths était-il une de tes inventions ?

— Tu devrais suffisamment me connaître pour le savoir, répondit la silhouette d’un ton railleur. Lorsque je me dresserai sur ton chemin, tu peux t’attendre à quelque chose d’un peu plus sérieux. Pour l’instant, nous disposons de suffisamment de séides pour te retarder. C’est tout ce dont nous avons réellement besoin. Lorsque Zedar aura rapporté Cthrag Yaska à mon Maître, tu pourras toujours tenter de t’opposer à la puissance et la volonté de Torak, si cela te chante.

— Alors comme ça, tu fais les commissions de Zedar, maintenant ? demanda sire Loup.

— Je ne fais les commissions de personne, riposta la silhouette avec un insondable mépris.

Le cavalier semblait bien réel, aussi concret que n’importe lequel d’entre eux sur le sommet de cette dent de pierre, mais Garion pouvait voir le crachin imperceptible tomber sur les rochers, juste en dessous de l’homme et de sa monture. Quels qu’ils fussent, il leur pleuvait au travers.

— Que fais-tu là, alors, Chamdar ? s’enquit sire Loup.

— Appelons cela de la curiosité, Belgarath. Je voulais voir de mes propres yeux comment tu avais réussi à traduire les termes de la Prophétie dans la réalité de tous les jours.

La silhouette parcourut du regard le petit groupe assemblé au sommet du pic.

— Pas bête, convint-il du bout des lèvres. Où es-tu allé les chercher ?

— Je n’ai pas eu besoin d’aller les chercher, comme tu dis, Chamdar, répondit sire Loup. Ils ont été là de toute éternité. Si la Prophétie se vérifie en partie, alors tout doit être vrai, n’est-ce pas ? Nulle intervention humaine n’est en cause dans tout cela. Chacun est venu à moi au terme de générations plus nombreuses que tu ne pourras jamais l’imaginer.

La silhouette sembla inspirer profondément.

— Tous les termes de la Prophétie ne sont pas encore remplis, vieillard, siffla-t-elle.

— Ils le seront, Chamdar, rétorqua sire Loup, avec assurance. J’ai déjà pris des mesures en ce sens.

— Quel est celui qui vivra deux fois ? demanda tout à coup la silhouette.

Sire Loup eut un sourire glacial, mais ne répondit pas.

— Salut à toi, ma reine, dit alors la silhouette, d’un ton moqueur.

— La courtoisie grolim m’a toujours laissée de marbre, riposta tante Pol d’un ton cinglant. Et je ne suis pas ta reine, Chamdar.

— Bientôt, Polgara. Bientôt. Mon Maître l’a toujours dit : sa femme tu deviendras sitôt qu’il aura retrouvé son royaume. Tu seras la Reine du Monde.

— Ce qui n’est pas à proprement parler un avantage pour toi, Chamdar. Si je dois être ta reine, tu ne pourras plus t’opposer à moi, n’est-ce pas ?

— Je saurai passer outre, Polgara. Au demeurant, quand tu seras devenue l’épouse de Torak, sa volonté se substituera à la tienne, et je suis sûr qu’à ce moment-là, tu ne nourriras plus de rancune à mon endroit.

— En voilà assez, Chamdar, décréta sire Loup. Tes discours oiseux commencent à m’importuner. Tu peux récupérer ton ombre. Va-t’en, ordonna-t-il, en faisant un geste négligent de la main, comme pour chasser une mouche.

Une fois de plus, Garion eut l’impression d’être submergé par une force étrange, accompagnée d’un rugissement silencieux. Le cavalier disparut.

— Vous ne l’avez tout de même pas anéanti ? hoqueta Silk, estomaqué.

— Non. Ce n’était qu’une illusion, un truc puéril que les Grolims trouvent impressionnant. On peut, à condition de s’en donner la peine, projeter son ombre à une distance considérable. Je me suis contenté de lui renvoyer la sienne, expliqua sire Loup, dont les lèvres se tordirent alors en un sourire inquiétant. Evidemment, je n’ai pas choisi le chemin le plus direct. Elle mettra peut-être quelques jours à faire le voyage. Cela ne le fera pas à proprement parler souffrir, mais il ne devrait pas être très à l’aise — et ça lui donnera l’air un peu bizarre.

— Un spectre des plus malséants, fit observer Mandorallen. A qui était ce simulacre malappris ?

— A un certain Chamdar, répondit tante Pol en se consacrant à nouveau au blessé. Un grand prêtre grolim. Nous avons déjà eu affaire à lui, père et moi.

— Je crois que nous ferions mieux de redescendre d’ici, déclara sire Loup. Dans combien de temps peut-on espérer que Lelldorin pourra à nouveau monter à cheval ?

— Pas avant une semaine, répondit tante Pol. Et encore...

— Il est hors de question que nous restions ici aussi longtemps.

— Il est incapable de se tenir en selle, annonça-t-elle fermement.

— Nous pourrions peut-être lui confectionner une sorte de litière ? suggéra Durnik. Je suis sûr que je devrais arriver à fabriquer un genre de brancard assujetti entre deux chevaux, de façon à pouvoir le déplacer sans trop le chahuter.

— Eh bien, Pol ? Qu’en dis-tu ? demanda sire Loup.

— Ça devrait faire l’affaire, convint-elle d’un air quelque peu dubitatif.

— Eh bien, allons-y. Nous sommes beaucoup trop vulnérables, ici, et nous avons assez perdu de temps comme ça.

Durnik hocha la tête et alla chercher des cordes dans leurs ballots afin de confectionner la litière.

La Reine des sortileges
titlepage.xhtml
Eddings,David-[La Belgariade-2]La Reine des sortileges.(Queen of Sorcery).(1982).French.ebook.AlexandriZ_split_000.htm
Eddings,David-[La Belgariade-2]La Reine des sortileges.(Queen of Sorcery).(1982).French.ebook.AlexandriZ_split_001.htm
Eddings,David-[La Belgariade-2]La Reine des sortileges.(Queen of Sorcery).(1982).French.ebook.AlexandriZ_split_002.htm
Eddings,David-[La Belgariade-2]La Reine des sortileges.(Queen of Sorcery).(1982).French.ebook.AlexandriZ_split_003.htm
Eddings,David-[La Belgariade-2]La Reine des sortileges.(Queen of Sorcery).(1982).French.ebook.AlexandriZ_split_004.htm
Eddings,David-[La Belgariade-2]La Reine des sortileges.(Queen of Sorcery).(1982).French.ebook.AlexandriZ_split_005.htm
Eddings,David-[La Belgariade-2]La Reine des sortileges.(Queen of Sorcery).(1982).French.ebook.AlexandriZ_split_006.htm
Eddings,David-[La Belgariade-2]La Reine des sortileges.(Queen of Sorcery).(1982).French.ebook.AlexandriZ_split_007.htm
Eddings,David-[La Belgariade-2]La Reine des sortileges.(Queen of Sorcery).(1982).French.ebook.AlexandriZ_split_008.htm
Eddings,David-[La Belgariade-2]La Reine des sortileges.(Queen of Sorcery).(1982).French.ebook.AlexandriZ_split_009.htm
Eddings,David-[La Belgariade-2]La Reine des sortileges.(Queen of Sorcery).(1982).French.ebook.AlexandriZ_split_010.htm
Eddings,David-[La Belgariade-2]La Reine des sortileges.(Queen of Sorcery).(1982).French.ebook.AlexandriZ_split_011.htm
Eddings,David-[La Belgariade-2]La Reine des sortileges.(Queen of Sorcery).(1982).French.ebook.AlexandriZ_split_012.htm
Eddings,David-[La Belgariade-2]La Reine des sortileges.(Queen of Sorcery).(1982).French.ebook.AlexandriZ_split_013.htm
Eddings,David-[La Belgariade-2]La Reine des sortileges.(Queen of Sorcery).(1982).French.ebook.AlexandriZ_split_014.htm
Eddings,David-[La Belgariade-2]La Reine des sortileges.(Queen of Sorcery).(1982).French.ebook.AlexandriZ_split_015.htm
Eddings,David-[La Belgariade-2]La Reine des sortileges.(Queen of Sorcery).(1982).French.ebook.AlexandriZ_split_016.htm
Eddings,David-[La Belgariade-2]La Reine des sortileges.(Queen of Sorcery).(1982).French.ebook.AlexandriZ_split_017.htm
Eddings,David-[La Belgariade-2]La Reine des sortileges.(Queen of Sorcery).(1982).French.ebook.AlexandriZ_split_018.htm
Eddings,David-[La Belgariade-2]La Reine des sortileges.(Queen of Sorcery).(1982).French.ebook.AlexandriZ_split_019.htm
Eddings,David-[La Belgariade-2]La Reine des sortileges.(Queen of Sorcery).(1982).French.ebook.AlexandriZ_split_020.htm
Eddings,David-[La Belgariade-2]La Reine des sortileges.(Queen of Sorcery).(1982).French.ebook.AlexandriZ_split_021.htm
Eddings,David-[La Belgariade-2]La Reine des sortileges.(Queen of Sorcery).(1982).French.ebook.AlexandriZ_split_022.htm
Eddings,David-[La Belgariade-2]La Reine des sortileges.(Queen of Sorcery).(1982).French.ebook.AlexandriZ_split_023.htm
Eddings,David-[La Belgariade-2]La Reine des sortileges.(Queen of Sorcery).(1982).French.ebook.AlexandriZ_split_024.htm
Eddings,David-[La Belgariade-2]La Reine des sortileges.(Queen of Sorcery).(1982).French.ebook.AlexandriZ_split_025.htm
Eddings,David-[La Belgariade-2]La Reine des sortileges.(Queen of Sorcery).(1982).French.ebook.AlexandriZ_split_026.htm
Eddings,David-[La Belgariade-2]La Reine des sortileges.(Queen of Sorcery).(1982).French.ebook.AlexandriZ_split_027.htm
Eddings,David-[La Belgariade-2]La Reine des sortileges.(Queen of Sorcery).(1982).French.ebook.AlexandriZ_split_028.htm
Eddings,David-[La Belgariade-2]La Reine des sortileges.(Queen of Sorcery).(1982).French.ebook.AlexandriZ_split_029.htm
Eddings,David-[La Belgariade-2]La Reine des sortileges.(Queen of Sorcery).(1982).French.ebook.AlexandriZ_split_030.htm
Eddings,David-[La Belgariade-2]La Reine des sortileges.(Queen of Sorcery).(1982).French.ebook.AlexandriZ_split_031.htm
Eddings,David-[La Belgariade-2]La Reine des sortileges.(Queen of Sorcery).(1982).French.ebook.AlexandriZ_split_032.htm
Eddings,David-[La Belgariade-2]La Reine des sortileges.(Queen of Sorcery).(1982).French.ebook.AlexandriZ_split_033.htm
Eddings,David-[La Belgariade-2]La Reine des sortileges.(Queen of Sorcery).(1982).French.ebook.AlexandriZ_split_034.htm
Eddings,David-[La Belgariade-2]La Reine des sortileges.(Queen of Sorcery).(1982).French.ebook.AlexandriZ_split_035.htm
Eddings,David-[La Belgariade-2]La Reine des sortileges.(Queen of Sorcery).(1982).French.ebook.AlexandriZ_split_036.htm
Eddings,David-[La Belgariade-2]La Reine des sortileges.(Queen of Sorcery).(1982).French.ebook.AlexandriZ_split_037.htm
Eddings,David-[La Belgariade-2]La Reine des sortileges.(Queen of Sorcery).(1982).French.ebook.AlexandriZ_split_038.htm
Eddings,David-[La Belgariade-2]La Reine des sortileges.(Queen of Sorcery).(1982).French.ebook.AlexandriZ_split_039.htm
Eddings,David-[La Belgariade-2]La Reine des sortileges.(Queen of Sorcery).(1982).French.ebook.AlexandriZ_split_040.htm
Eddings,David-[La Belgariade-2]La Reine des sortileges.(Queen of Sorcery).(1982).French.ebook.AlexandriZ_split_041.htm
Eddings,David-[La Belgariade-2]La Reine des sortileges.(Queen of Sorcery).(1982).French.ebook.AlexandriZ_split_042.htm